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4-5 Novembre 2002 – Palais de l’Europe – Strasbourg

ATELIER N°1 : Les ONG en tant qu’acteurs clés de la gouvernance locale

La réflexion, menée dans le cadre de l’atelier consacré au rôle des ONG en tant qu’acteurs clés de la gouvernance locale, est fondée sur le postulat suivant lequel la démocratie n’est jamais définitivement acquise. Elle doit faire, selon les participants, l’objet d’innovation constante, être perpétuellement réinventée dans ses modalités afin d’assurer sa consolidation et son approfondissement. Cet impératif doit inspirer les acteurs de la démocratie à tous les niveaux. Les travaux de l’atelier révèlent à cet égard la volonté de ces acteurs, au niveau local, de renouveler les modalités d’expression de la démocratie, traditionnellement fondée sur un système représentatif, en développant les mécanismes de participation citoyenne. L’objectif est d’assurer la mise en place d’une collaboration directe, dans la prise de décision politique au niveau infra-étatique, entre les pouvoirs locaux et la Société civile. La contribution des ONG dans l’instauration de cette véritable démocratie participative locale est apparue, à la lumière des expériences concrètes présentées lors des travaux, absolument fondamentale. La présentation, notamment, de trois expériences en Espagne (participation directe des citoyens à la prise de décision dans le cadre de la municipalité d’Alcobena), en Bulgarie (mise en place et fonctionnement du Centre culturel et d’information de la jeunesse de Gabrovo) et au Royaume-Uni (mise en place d’une approche intégrée sur l’égalité des sexes au niveau local) a, en effet, démontré que le moyen privilégié de la promotion de la démocratie participative au niveau local passe par la mise en place d’un partenariat entre les ONG et les pouvoirs locaux. Cette notion cardinale de partenariat constitue, derrière l’apparente diversité des expériences, le véritable dénominateur commun des discussions de l’atelier n°1.

Ce partenariat unissant dans le cadre des collectivités, la Société civile représentée notamment par les ONG, et le pouvoir politique local, en vue d’assurer la collaboration de tous à chaque étape de la mise en ouvre d’une politique publique, marque ce souci d’innovation pour une meilleure gouvernance démocratique locale. La richesse des débats a permis de faire apparaître l’existence de certaines conditions préalables à la mise en place de ce partenariat, dont les modalités sont variées. La présentation d’expériences réussies autorise également l’identification de certains facteurs du succès de ce partenariat en action. Enfin, les participants ont formulé certaines propositions ou recommandations concernant le rôle du Conseil de l’Europe dans le développement de cette démocratie directe locale.

1- Les conditions nécessaires à la mise en place du partenariat

Les études de cas ont démontré que la mise en place du partenariat entre la Société civile et les pouvoirs locaux supposait la réunion de quatre conditions.

La première concerne l’initiative de cette collaboration. La mise en place du partenariat implique de façon évidente l’existence d’un accord de volonté entre les différents partenaires. Cependant, il apparaît souhaitable que la démarche soit initiée par les ONG puis acceptée par les pouvoirs locaux. Le partenariat revêtira une signification démocratique plus importante s’il est le résultat d’une demande citoyenne, d’une démarche volontariste de la Société civile manifestant ainsi son intérêt pour la chose publique.

La deuxième condition implique la création d’une structure, d’un lieu de discussion et de concertation entre les partenaires. Toutes les expériences évoquées lors de l’atelier passent par la mise en place de Forums, de Conseils consultatifs ou de Comités divers. Cet organe constitue le lieu de ce partenariat sous forme d’un espace ouvert de rencontre entre les pouvoirs locaux et la Société civile. Sa légitimité semble conditionnée par sa représentativité : ainsi, sa composition doit impliquer l’ensemble du _self social c’est-à-dire non seulement la Société civile “institutionnalisée” (les ONG notamment qui sont le vecteur privilégié de cette participation citoyenne), mais aussi les “citoyens ordinaires” qui ne participent pas à une association (désignés via, par exemple, un système de tirage au sort) et de façon plus générale ceux que l’on a appelé les “outsiders”, exclus de toute sorte, femmes, jeunes ou chômeurs. L’importance de la prise en compte de cette diversité, des sensibilités de chacun, a été maintes fois soulignée par les participants à l’atelier. Cet espace de discussion doit être le lieu d’expression de conflits sains, positifs et constructifs, entre les intérêts souvent contradictoires des différentes composantes de la Société civile. Il s’agit, en se fondant sur le respect mutuel, d’intégrer cette richesse “interculturelle”, et pas seulement multiculturelle, dans la gouvernance locale.

La troisième condition est relative à l’objet de ce partenariat. La collaboration, pour être effective, doit concerner l’ensemble de la vie d’une politique publique, de son élaboration au stade de son évaluation à long terme. Il est important que l’ensemble des partenaires soit associé à chaque étape. Il s’agit de développer, dans le ou les secteurs concernés par ce partenariat (politique de la jeunesse, urbanisme, éducation.), une vision commune de l’action politique.

Enfin, la quatrième condition a trait aux moyens techniques et financiers sans lesquels le partenariat ne peut exister. Toutes les expériences montrent l’importance de la mise à disposition au profit de l’organe de collaboration des moyens notamment d’information et de communication dont dispose la collectivité (médias locaux, revue, magazine, site Internet.). Des moyens techniques et financiers doivent également être alloués pour le fonctionnement concret de ce partenariat (voir par exemple les systèmes de garde d’enfants lorsque des femmes y participent). Enfin la démarche est également coûteuse en temps : la consultation, le dialogue ralentissent la prise de décision politique et cet aspect non négligeable doit être accepté par les pouvoirs locaux qui doivent accorder le temps de cette collaboration.

Ces conditions semblent indispensables à la mise en place du partenariat dont les modalités peuvent varier.

2- Les modalités du partenariat

Une typologie des modalités de ce partenariat peut être dressée, mais derrière cette diversité, une véritable conception commune de la démocratie et des rapports entre citoyens et élus se dégage.

Les travaux ont en effet révélé la grande diversité des expériences qui permet, cependant, d’identifier ces différentes modalités. Ce partenariat vise à assurer une participation plus ou moins importante de la Société civile à la prise de décision politique. C’est en fonction de l’intensité de cette collaboration que l’on peut distinguer des modalités plus ou moins participatives, et donc une gradation qui va de la consultation pure et simple à la codécision voire jusqu’à l’auto gouvernement contrôlé. Ces trois modalités confèrent à la Société civile une place plus ou moins importante au sein du partenariat : alors que, dans la première, les ONG constitueront surtout une force de proposition dans la procédure de codécision, il s’agit de leur donner une voix décisionnelle au même titre que celle dont disposent les élus. Le cas de l’auto gouvernement contrôlé est une modalité plus rare conférant à la Société civile une grande autonomie dans la gestion d’un aspect de la vie publique (voir par exemple les jurys populaires de quartier à Berlin qui gèrent, sous un certain contrôle du pouvoir politique, une enveloppe budgétaire qui leur est allouée pour mener des actions dans leur quartier).

Ces modalités, malgré leur diversité, se fondent sur une même conception de la démocratie. Elles remettent en cause la distance entre l’élu et le citoyen qu’implique la démocratie représentative. Dans ce dernier système, les élus sont considérés comme une élite dotée d’une certaine expertise et capable de répondre aux attentes de la Société civile, de les traduire en actes politiques. Or, la mise en place de ce partenariat se fonde précisément sur la volonté de réduire cette distanciation entre l’élu et le citoyen consubstantielle du système représentatif. Il s’agit de constater que la Société civile, et notamment les ONG, disposent, elles aussi, d’une forme d’expertise “civile”, d’un “savoir d’usage” qu’il convient d’intégrer dans la prise de décision politique pour une meilleure gouvernance locale. Ce rapprochement que permet le partenariat, quelles que soient ses modalités, s’opère par un maintien des principes du système représentatif tempérés par des mécanismes de démocratie directe.

Au-delà de cette diversité des modalités du partenariat, les travaux de l’atelier n° 1 ont permis d’identifier, grâce aux études de cas concrets, certains facteurs du succès de cette collaboration.

3- Les facteurs du succès de ce partenariat en action

Les expériences présentées lors des travaux font apparaître que certaines méthodes ou solutions, retenues pour la mise en ouvre concrète de ce partenariat, ont largement contribué à leur succès. Il apparaît utile, pour le développement de cette contribution des ONG à l’instauration d’une démocratie participative au niveau local, de s’inspirer de ces expériences. A cet égard, outre les aspects déjà envisagés concernant par exemple la composition de l’organe de collaboration, trois enseignements, notamment, peuvent être tirés constituant autant de facteurs de succès.

Il apparaît tout d’abord souhaitable que ce partenariat donne lieu à la définition préalable et concertée d’une véritable méthodologie. Les différents intervenants à l’atelier ont en effet souligné l’importance de l’établissement de règles précises concernant la conception, le fonctionnement et l’évaluation de ce partenariat. Cette sorte de “charte”, gage de l’efficacité de la collaboration ONG/pouvoirs locaux, doit aussi assurer la souplesse de fonctionnement du partenariat.

Les études de cas ont ensuite révélé la diversité des techniques de gestion du fonctionnement de ce partenariat. Mais parmi ces solutions, il en est une qui a particulièrement retenu l’attention des participants à l’atelier : celle qui consiste dans l’intervention d’un tiers neutre au partenariat. Cette méthode dite de “l’évaluation-action” semble avoir contribué au succès, au Royaume-Uni, du projet d’approche intégrée sur l’égalité des sexes. Ce tiers neutre remplit trois fonctions essentielles à la gestion de cette collaboration. Chargé d’organiser les échanges, le dialogue entre les différents partenaires, de gérer la diversité des intérêts parfois contradictoires, il a d’abord un rôle de “facilitateur”. A ce titre il est également responsable de la logistique (mise en ouvre des moyens techniques permettant la participation de tous, y compris des “outsiders”) et occupe une place fondamentale dans le lancement du partenariat. Il assume ensuite un rôle d’évaluateur. Sa neutralité (qui doit être garantie par sa désignation) lui permet de contrôler de façon objective l’évolution du partenariat et les actions menées. Il peut ainsi souligner les réussites mais aussi faire apparaître, le cas échéant, les problèmes de fonctionnement ou les échecs et inviter les participants à des ajustements. Enfin, il a un rôle d’expertise. Il est en effet également une ” personne ressource “, capable de part son expérience d’assurer un véritable rôle de formation et d’apprentissage des partenaires. Ainsi, l’intervention d’un tiers assumant ses trois fonctions semble être déterminante en tant que facteur de réussite du partenariat.

Enfin, l’un des facteurs les plus déterminants, sinon le plus important, réside dans la pérennité de la motivation des partenaires. La mise en place du partenariat résulte d’une démarche purement volontariste, de telle sorte que si cette motivation initiale s’émousse l’existence même de la collaboration est remise en cause. Plusieurs moyens, propres à assurer cette durabilité, semblent envisageables. Outre le rôle, analysé précédemment, du tiers neutre dans l’instauration de la confiance et l’entretien de la motivation des partenaires, la mise en place d’une véritable stratégie de communication sur les actions menées par le partenariat paraît fondamentale. Il s’agit d’assurer une visibilité gratifiante, dans les médias locaux par exemple, des réalisations concrètes de cette collaboration. Par ailleurs, il apparaît souhaitable d’associer l’ensemble des partenaires à toutes les étapes du projet. L’exclusion de la Société civile lors de telle phase de la conception ou de l’évaluation du projet, est en effet, génératrice de frustration et donc de défection. Enfin, la notion de partenariat ONG/pouvoirs locaux doit devenir une valeur fondamentale de l’action politique, commune à l’ensemble des partenaires. Elle doit être élevée au rang de composante fondamentale d’une nouvelle gouvernance locale.

Outre ces facteurs de succès, les travaux ont permis la formulation de propositions concrètes concernant le rôle du Conseil de l’Europe dans la promotion de cette nouvelle gouvernance démocratique.

4- Le rôle du Conseil de l’Europe dans le développement de ces partenariats

Il serait en effet souhaitable, selon les participants à l’atelier n°1, que le Conseil de l’Europe développe les moyens propres à encourager et à faciliter la mise en place de ces partenariats.

A ce titre, plusieurs actions plus ou moins interventionnistes, destinées à fournir aux partenaires une assistance technique, ont été envisagées. Tout d’abord le Conseil devrait créer, en son sein, une structure, un organe qui constituera un interlocuteur pour les acteurs locaux de ces partenariats. Répondant à leurs nombreuses interrogations, il aura auprès d’eux un rôle d’information et de formation (développement dans ce cadre de modules de formation au profit des éventuels partenaires). Par ailleurs, les discussions ont fait apparaître la nécessité de mettre en place un système de gestion centralisée de l’expertise, commun aux différents domaines d’intervention du Conseil de l’Europe. Ce fichier d’experts permettrait au Conseil d’intervenir de façon plus directe dans certains partenariats, au titre de médiateur, par la désignation par exemple du tiers neutre.

Cependant, au-delà de cette assistance technique dans la mise en place ou dans la gestion de ces partenariats, le Conseil de l’Europe devrait promouvoir les actions menées à bien, les réussites. Il leur donnerait, grâce à une stratégie d’information et à la mise en place d’une sorte de recueil des expériences réussies les plus édifiantes, une dimension d’exemple et encouragerait leur développement.

Les travaux de l’atelier n°1 ont ainsi fait apparaître, à travers la notion de partenariat, combien le niveau infra-étatique est propice au développement du rôle des ONG, et de façon plus générale de la Société civile, dans la conduite des affaires publiques. Cependant, si cette collaboration permet l’émergence d’une nouvelle gouvernance démocratique, le risque de glissement vers un partenariat de façade, “faire-valoir” de l’action du pouvoir politique, existe. Ainsi, toutes les expériences présentées tendent à démontrer qu’il ne s’agit pas seulement de redonner une légitimité démocratique à l’action politique des pouvoirs locaux. Ne retenir que cette finalité conduirait, en effet, à réduire la participation de la Société civile au rang de moyen de conforter la position du pouvoir politique. Il s’agit donc également, in fine, de promouvoir une nouvelle gouvernance locale, une nouvelle approche du politique et de la démocratie, fondées sur la confiance et la sincérité de l’engagement des partenaires.